Dans un monde de communication tous azimuts, l’émergence des réseaux sociaux a entraîné une hyper-connexion des salariés au sein même de l’entreprise, au point de ne plus distinguer vie privée et activité professionnelle.
C’est dans ces circonstances que les juridictions du fond ont été sollicitées. C’est ainsi qu’il a été jugé que le fait pour un Directeur web, d’avoir envoyé sur une période de plus d’un an, depuis un compte n’appartenant pas à son employeur, un total de 1 336 tweets, ne pouvait être considéré comme relevant de faits fautifs.
L’intéressé avait en effet, été licencié pour une utilisation massive de twitter à des fins extraprofessionnelles.
Cet arrêt a le mérite de rappeler les droits et limites conférés aux salariés dans l’utilisation d’outils professionnels à des fins de connexion aux réseaux sociaux, ainsi que la difficulté rencontrée dans la distinction entre activité professionnelle et activité personnelle.
Par principe, clés lors que le salarié est à son poste de travail, il ne peut plus vaquer à ses occupations personnelles.
Notion d’utilisation raisonnable
Une telle situation le place en effet, en dehors de la définition du temps de travail effectif, au sens de l’article L 3121-1 du Code du travail, et le met en défaut, au regard de son obligation d’exécuter loyalement les relations contractuelles, au sens de l’article L 1122-1 du même Code.
Bien évidemment, cette interdiction ne saurait être absolue et souffre de nombreuses dérogations, pour peu que l’utilisation des outils professionnels, pendant le temps de travail et à des fins privées, demeure exceptionnelle et non permanente.
La Cour de Cassation a eu l’occasion d’adopter à de nombreuses reprises cette mécanique. Elle a ainsi estimé abusive l’utilisation par un salarié du téléphone de l’entreprise de façon continuelle et journalière quasiment exclusivement à des fins privées et en appelant des numéros de téléphone surtaxés, sans aucun lien avec son activité professionnelle, malgré les mises en gardes réitérées dont il avait fait l’objet.
Les années passant, autres mœurs, autres médias de communication, mais persistance de ce principe :
- la Commission nationale de l’informatique et des libertés autorise la connexion internet à des fins personnelles pendant le temps de travail, sous réserve que cette dernière soit raisonnable
- La Cour de Cassation se fonde sur l’article 9 du Code Civil, instaurant un droit pour chacun au respect de sa vie privée, ainsi que sur le principe de proportionnalité entre les libertés conférées aux salariés
- les restrictions qui leurs seraient faites, justifiées par l’intérêt légitime de l’entreprise, conformément à l’article L 1121-1 du Code du travail.
ll résulte donc de la conjugaison de ces deux dispositions légales, un droit pour le salarié à l’utilisation, dans des proportions raisonnables, de l’outil professionnel mis à la disposition par son employeur, durant le temps de travail.
Notion d’utilisation déraisonnable
Cette appréciation, par nature factuelle, échappe au contrôle de la Cour de
Cassation. ll convient alors de se reporter à l’appréciation souveraine des juridictions du fond, dont le jugement dépendra nécessairement de l’appétence des magistrats pour les outils connectiques, et de leur conception de la scission entre vie privée et vie professionnelle, durant la prestation de travail, ou autrement formulé, de leur approche de a vie connectée.
C’est ainsi, par exemple, que les juges ont estimé que sur une période considérée, les 1336 tweets inventoriés correspondaient, en moyenne, à moins de quatre minutes de connexion par jour. Les magistrats ont donc procédé à la détermination d’une moyenne d’envois et de connexions par jour, pour estimer que l’utilisation de cette messagerie restait dans l’ordre du raisonnable.
Ils auraient pu au contraire se focaliser sur la durée continue des messages pour apprécier ce caractère raisonnable. En revanche, il semble désormais peu probable que les conséquences de ce tweetage intempestif, sur la vitesse du réseau informatique ou sur la durée du message proprement dite, puissent emporter la conviction du juge, alors précisément que ces critères apparaissent fondamentaux pour l’appréciation des connexions internet à des fins privées par les salariés.
Il en résulte que l’envoi excessif de tweets, hors addiction flagrante, semble difficilement sanctionnable… à supposer que soit démontrée cette utilisation pendant le temps de travail.
Connexion sur les réseaux sociaux et temps de travail
En effet, la connexion aux réseaux sociaux par un salarié soulève également le problème de la démonstration de la connexion du salarié pendant le temps de travail. Si en effet, le surf internet n’emporte pas de difficulté particulière au regard de la preuve, du fait des capacités de l’administrateur réseau à démontrer le moment des flux sur un poste donné, il en est tout autrement de l’utilisation des réseaux sociaux.
À titre d’illustration, la Cour d’Appel de Chambéry a pu estimer qu’il n’était pas démontré par l’employeur que les tweet avaient été réalisés pendant le temps de travail, dans la mesure ou aucune heure d’envoi formelle ne pouvait être garantie du fait même de son fonctionnement, et que l’aménagement du temps de travail auquel était astreint le salarié laissait une grande place à l’autonomie.
Prise à la lettre, cette formulation voue à l’échec toute démonstration d’utilisation abusive des outils de l’employeur à des fins privées durant le temps de travail, pour des salariés évoluant dans un aménagement d’activité fondé sur un nombre de jours sur l’année, sur un nombre d’heures sur l’année, voire sur des horaires individualisés.