S’il donne des instructions aux manifestants et prend en charge l’organisation logistique des opérations de dégradation à l’encontre d’une entreprise, le syndicat s’expose à la mise en œuvre de sa responsabilité civile.

Lorsqu’une mobilisation syndicale dirigée contre une entreprise dérape et donne lieu à des dégradations, quelle est la responsabilité du syndicat à l’initiative de ce mouvement ? Réunie en chambre mixte le 30 novembre (1ère et 2ème chambres civiles, chambres sociale et criminelle), la Cour de cassation a pris position.Des pneus brûlés devant l’entrée d’une usine Lactalis

Le 15 juillet 2013, environ 200 producteurs de lait de la Mayenne se réunissent à l’appel d’organisations syndicales agricoles. Lors de ce rassemblement, le président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de la Mayenne (FDSEA 53) appelle publiquement ses adhérents, en présence de la presse, à charger des pneus dans leurs tracteurs et à les déposer devant l’entrée d’une usine Lactalis. Il est notamment rapporté la formule suivante, prononcée par le responsable syndicat avec « un sourire entendu », notent les juges : « Enfin faites-moi confiance, personne se gare chez Lactalis sauf les pneus ! ». Il appelle également les agriculteurs à se rendre ensuite à un rond-point pour discuter de la marche à suivre.

Les agriculteurs en colère se rendent effectivement devant l’usine Lactalis de Changé (Mayenne) et entassent des pneus déchargés de leurs tracteurs auxquels il est mis feu dans la soirée, en présence du président de la FDSEA 53. L’incendie entraîne des dégradations aux équipements de fermeture du site. La société Lactalis poursuit alors en justice le syndicat et son responsable.Le syndicat doit payer 68 000 euros de dommages-intérêtsLa cour d’appel d’Angers déboute d’abord Lactalis de sa demande formée individuellement contre le représentant syndical au motif qu’il n’a pas commis de faute détachable de l’exercice de son mandat syndical. La FDSEA 53 est en revanche condamnée, au titre de sa responsabilité civile, à payer à Lactalis la somme de 68 851 euros pour le préjudice causé. Les juges retiennent que le président de la FDSEA 53 a donné des instructions aux agriculteurs, qualifiées de « provocation directe à la commission d’actes illicites dommageables commis au moyen de pneus », et l’existence d’un lien direct entre ces directives et le préjudice subi par l’entreprise.Dans son pourvoi en cassation, le syndicat soutient que les actes qui lui sont reprochés relèvent d’un abus de la liberté d’expression de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et non pas du droit commun de la responsabilité civile (ceci ayant principalement pour effets d’exclure la responsabilité de la personne morale et d’appliquer les règles de prescription prévues par cette loi).La responsabilité civile du syndicat est engagéeLa Cour de cassation rejette le pourvoi du syndicat. Il est retenu la participation effective du syndicat aux actes illicites commis à l’occasion de la manifestation en cause et l’existence d’une « complicité par provocation », au sens du code pénal. « Le président du syndicat est celui qui, par la teneur de ses propos, a pris en charge l’organisation logistique des opérations et donné les instructions d’organisation de la manifestation à tous les participants présents au rassemblement », est-il reproché. Il est enfin reconnu l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité civile du syndicat, sans que puisse être invoqué le bénéfice des dispositions de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Comme l’a rappelé le premier avocat général dans son avis sur ce pourvoi en cassation, la jurisprudence considère que les syndicats ne sont pas les commettants des grévistes et que ceux-ci exercent individuellement le droit de grève. La responsabilité civile d’un syndicat n’est dès lors être engagée que si ce dernier a effectivement participé à des agissements constitutifs d’infractions pénales ne pouvant se rattacher à l’exercice normal du droit de grève.

Source – Actuel CE