Si l’accord collectif est un acte de droit privé, son extension est, elle, un acte administratif émanant du ministère du travail, ce qui peut soulever des problèmes de conflits entre le juge judiciaire et le juge administratif. C’était d’ailleurs le cas dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 27 novembre dernier. Des entreprises soumises à un accord collectif en raison de son extension contestent son application en soulevant l’absence de représentativité dans leur secteur des fédérations patronales signataires de l’accord.
La question au coeur de cet arrêt est de savoir si le juge judiciaire est bien compétent pour trancher cette question.
Jusqu’à cet arrêt, la Cour de cassation admettait la compétence du juge judiciaire en ce domaine. Elle rappelle ainsi dans sa notice explicative de l’arrêt que, depuis un arrêt du 16 mars 2005, le juge judiciaire peut vérifier le champ d’application d’un accord étendu au regard de la représentativité des organisations patronales signataires. Il doit donc vérifier que l’employeur est bien soumis à l’accord collectif étendu car il en est signataire, ou adhérent à une organisation patronale signataire ou bien encore l’organisation patronale signataire est bien représentative dans le secteur d’activité de l’employeur.
Seul hic : cette jurisprudence venait se heurter à celle du Conseil d’Etat. En effet, souligne la Cour de cassation, toujours dans sa notice explicative, pour qu’un arrêté d’extension soit valide, le juge administratif doit s’assurer que toutes les organisations syndicales et patronales représentatives dans les secteurs entrant dans le champ d’application de l’accord ont été invitées à la négociation, même si elles ne l’ont pas toutes signé. Il doit aussi vérifier que les étapes essentielles de la négociation de l’accord se sont bien déroulées en présence de toutes les organisations syndicales représentatives dans leur champ d’application.
Le risque était alors grand qu’existent des contrariétés entre la décision du juge judiciaire et celle du juge administratif. Afin d’éviter cela, la Cour de cassation vient de décider qu’un tel contrôle n’entrera plus dans la mission du juge judiciaire.
A noter : la décision concerne un avenant signé et étendu avant la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 5 mars 2014 qui a institué des critères de représentativité des organisations patronales aux différents niveaux de négociation.
Dans l’affaire en cause, la branche Syntec avait signé en 2009 un avenant prévoyant l’intégration dans son champ d’application des activités d’analyses, essais et inspections techniques. L’avenant est étendu en 2010. A la suite de cela, trois sociétés saisissent le TGI afin de demander l’annulation de l’avenant et son inopposabilité à leur égard.
Dans un premier temps, la cour d’appel leur donne raison et juge que l’avenant leur est inopposable. Une solution justifiée par l’absence de représentativité des deux fédérations patronales signataires dans le secteur du contrôle technique alors même que les trois sociétés requérantes n’y étant pas adhérentes ainsi que l’absence de toute organisation patronale représentative dans le secteur des activités de contrôle dont relèvent ces sociétés.
Les deux fédérations patronales signataires – Syntec et Cinov – rétorquent que l’avenant avait été étendu par le ministère du travail, ce qui avait pour effet de rendre obligatoires les stipulations de l’accord collectif à tous les salariés et employeurs compris dans le champ d’application de la convention. Selon elles, en vertu de cette extension, leur représentativité ne pouvait plus être contestée devant le juge judiciaire.
La Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence antérieure, décide qu’une fois l’accord collectif étendu, les pouvoirs du juge judiciaire s’en trouvent limités. En effet, rappelle la Haute cour, l’arrêté d’extension étant un acte administratif, il revient au ministre du travail, sous le contrôle du juge administratif, de vérifier si les conditions de négociation de l’accord permettent son extension. « En application du principe de séparation des pouvoirs, le juge judiciaire n’a pas pour compétence de vérifier la régularité des conditions de négociation et de conclusion d’un accord collectif étendu, dès lors que ce contrôle incombe (…) au seul juge administratif dans le cadre de son contrôle de la légalité de l’arrêté d’extension ».
Dans l’affaire en cause, relèvent les juges, l’avenant litigieux avait justement pour objet de rendre applicable au secteur des activités d’analyses, essais et inspections techniques l’accord Syntec, avenant par ailleurs étendu. Le juge judiciaire n’avait donc pas pour mission de contrôler qu’il avait été signé par des organisations syndicales et patronales représentatives de ce secteur. En cas de doute sérieux sur la légalité de l’arrêté d’extension, il revient alors de saisir le juge administratif d’une exception d’illégalité.
Le juge judiciaire doit se contenter de vérifier si l’activité des sociétés requérantes relevait bien du secteur analyses, essais et inspections techniques. La Cour de cassation en conclut que la cour d’appel ne pouvait dès lors pas statuer sur l’inopposabilité de l’avenant aux trois sociétés en se basant sur le fait que ces sociétés n’étaient pas adhérentes aux fédérations signataires et qu’aucune organisation patronale représentative dans le secteur des activités de contrôle dont relèvent ces sociétés n’y adhère.
Une fois l’accord étendu, la représentativité des organisations patronales signataires ne peut donc plus être contestée devant le juge judiciaire. La seule voie possible pour l’employeur est de démontrer que son activité n’entre pas dans le champ d’application professionnel de l’accord.