Sortir du cadre statutaire un peu figé, voire très « com » des congrès confédéraux des années précédentes pour lancer des débats : c’est l’ambition de François Hommeril, le président de la CFE-CGC, pour le congrès confédéral du syndicat des cadres qui a lieu à Deauville (Calvados) les 9 et 10 octobre. Trois thèmes seront discutés, a-t-il précisé à la presse le 1er octobre lors d’une matinée organisée par l’association des journalistes de l’information sociale (Ajis) : le statut de l’encadrement, la qualité et l’environnement du travail, et enfin « l’impasse de la gestion par les coûts », un thème cher à l’ingénieur. « Lorsque j’ai commencé ma carrière, il n’y avait pas cette domination de la gestion par les coûts dans les entreprises et cela ne se passait pas plus mal. Mais aujourd’hui, regrette François Hommeril, la gestion des coûts s’est imposée comme le seul standard dans le secteur privé comme public ». Ce fait nouveau, « qui génére de la souffrance au travail et qui dévalue la qualité du travail », doit être questionné et mis en débat, selon la CFE-CGC.

Sur le premier point, qui touche à la définition et à l’avenir de l’encadrement, l’absence de progrès dans les négociations sur ce statut, constamment ajournées du fait du camp patronal, inquiète les dirigeants de la CFE-CGC. « Le Medef a dû mal à obtenir un mandat clair pour négocier sur le sujet », déplore Gérard Mardiné, qui sera le futur secrétaire général de la confédération (*). Plus largement, le syndicat constate la crise française de l’activité interprofessionnelle, dont « il va falloir en tirer les enseignements », avertit François Hommeril. Le président de la CFE-CGC en rend en partie responsable l’exécutif, qui a choisi de favoriser la négociation d’entreprise, mais il pointe aussi l’attitude du Medef. L’organisation patronale ne joue pas son rôle, fustige le président de la CFE-CGC qui raconte avoir lancé à Muriel Pénicaud : « Le Medef n’a pas besoin de négocier puisqu’il lui suffit de téléphoner à la ministre du Travail pour obtenir satisfaction ». François Hommeril demande que soit rouverte la question de la représentativité patronale, afin de favoriser le dialogue social avec d’autres acteurs.
Sur le bilan de son mandat (*), le président de la CFE-CGC, qui compte 147 000 adhérents (en légère progression ces dernières années) et dont l’ambition proclamée en 2006 est de faire de sa confédération le troisième syndicat français, met à son actif « la conquête » d’une indépendance forte. Il persiste à refuser de ranger la CFE-CGC dans le camp des « syndicats réformistes ». Accepter cette catégorie, dit-il en substance, reviendrait à ne pas pouvoir dénoncer « des évolutions qui ne nous paraissent pas aller dans le bon sens ».
Si la confédération a salué l’esprit de la concertation avec Jean-Paul Delevoye et si elle participe toujours aux discussions avec le gouvernement sur la future réforme des retraites, elle n’en continue pas moins d’en penser pis que pendre : « Dès lors que le gouvernement ne se défait pas de sa volonté de mener une réforme à nos yeux inutile, nous voulons être dedans pour faire valoir nos positions, négocier (…) Mais s’il y a des injustices dans les régimes actuels, plutôt que de vouloir les traiter en les noyant dans un régime unique, faisons d’abord la liste de ces problèmes, sans oublier les retraites chapeaux », explique François Hommeril.

Ce dernier se montre très circonspect quant à un acte 2 de l’action de l’exécutif qui verrait celui-ci davantage écouter les partenaires sociaux. Il considère que la petite phrase d’Emmanuel Macron cet été, en faveur d’un allongement de la durée de cotisation, est de mauvaise augure pour une réelle gestion paritaire du futur régime, tout comme la volonté réitérée par le Premier ministre de faire débuter le nouveau régime unique des retraites en situation d’équilibre : « Le système à points ne nous fait pas peur, puisque nous avons géré les retraites complémentaires, mais il faut dire qu’un système par répartition doit être en permanence en déséquilibre (Ndlr : soit déficitaire, soit excédentaire) afin de gérer sur le long terme les aléas démographiques. Avoir un objectif d’équilibre, c’est inféoder le niveau des pensions à la réalisation de cet objectif ».
Cette indépendance, la CFE-CGC la brandit aussi pour vilipender la réforme de l’assurance chômage, aux effets catastrophiques selon le syndicat, qui a déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour contester les décrets parus en juillet. La réforme de la formation professionnelle n’est pas mieux traitée par François Hommeril : cet ancien secrétaire national en charge de la formation n’a pas de mots assez durs pour vilipender cette orientation vers toujours plus d’individualisation, alors même, note-t-il, que cela ne peut que renforcer l’inégalité d’accès à la formation, fût-ce au bénéfice des cadres.

« Croire qu’on va permettre aux personnes de choisir leur avenir professionnel grâce à une application sur un téléphone portable, c’est se moquer du monde », lance-t-il en comparant les droits du compte personnel de formation (CPF) à un « carnet de tickets de rationnement » qui seraient utilisables « dans un supermarché où le consommateur se voit incité à choisir ce qui brille ».
Quant à l’instance unique de représentation du personnel imposée par les ordonnances, le CSE, le président confédéral juge qu’en dehors des petites entreprises jusqu’à 100 salariés, « cela ne marche pas ».

Cette fusion va provoquer des problèmes sociaux du fait de l’éloignement entre les représentants du personnel et les salariés dans les entreprises, pronostique-t-il. Grâce aux gains revendiqués par la CFE-CGC aux élections professionnelles, (avec une progression de 17% en 2017 lors du précédent cycle électoral), le syndicat estime qu’il va toutefois pouvoir maintenir ses moyens dans les grandes entreprises où il est en progression, mais que ces moyens seront divisés par deux dans les autres.
François Hommeril et Gérard Mardiné soutiennent enfin, ce sera l’un des thèmes forts du congrès, qu’un autre modèle économique est possible. Mais les avancées du Pacte sont trop timides : il faudrait, assure le futur secrétaire général de la CFE-CGC qui anime un réseau d’administrateurs salariés, renforcer davantage la place des représentants des salariés au sein des conseils d’administration. Cette présence pourrait favoriser d’autres stratégies, plaide-t-il : « Les grandes entreprises pourraient ne distribuer que 20 milliards de dividendes au lieu de 40, ce qui laisserait 20 milliards pour investir dans l’économie, avec des conséquences tangibles sur l’emploi, les salaires, la rentrée des cotisations sociales et fiscales, cela fournirait aussi des moyens pour nos services publics ».
Dans des structures dominées par la logique des coûts, où les NAO s’apparentent à une « négociation déloyale » (« Si vous signez, vous aurez tant, mais si vous refusez, on vous retire tout »), des administrateurs salariés plus nombreux contribueraient à rééquilibrer la donne, argumente la CFE-CGC. Le syndicat juge également faibles les effets des mesures du gouvernement pour relancer l’épargne salariale dans les PME, via notamment la baisse du forfait social : il en veut pour preuve que le budget de la sécurité sociale 2020 reconduit la prime de pouvoir d’achat exceptionnelle, mais en l’assortissant d’une nouvelle conditionnalité liée à la négociation ou à l’existence d’un accord sur l’épargne salariale.
(*) Militant depuis 30 ans à la CFE-CGC, François Hommeril, un normand de 58 ans ingénieur géologue de formation et qui a travaillé 20 ans chez Pechiney-Alcan-Rio Tinto, a accédé à la présidence de la confédération en 2016 à la suite de Carole Couvert (lire notre article et voir notre vidéo). Il est seul candidat à sa succession. Ingénieur aéronautique chez Safran, Gérard Mardiné, 60 ans, jusqu’alors secrétaire national chargé de l’économie, est également le seul candidat au poste de secrétaire général, pour succéder à Alain Giffard. Gilles Lecuelle continuera de suivre le dialogue social et les instances représentatives du personnel.
Responsabilité sociale et environnementale : la CGT et la CFE-CGC demandent à Verallia d’adopter une raison d’être
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La raison d’être est une nouveauté de la loi Pacte : il s’agit pour les entreprises qui le souhaitent de préciser un objet autre que la recherche du profit dans les finalités qu’elles se donnent. « Il y a peu d’appétence des grands groupes pour adopter une raison d’être qui tienne la route », déplore Gérard Mardiné. La CFE-CGC n’en soutient pas moins l’initiative prise par la CGT et sa fédération verre-céramique de pousser en ce sens afin que l’entrée en bourse de Verallia, le numéro un mondial de l’emballage de verre, provoquée par la sortie du capital du fonds Apollo, soit l’occasion d’adopter une raison d’être visant à faire de cette entreprise une société « exemplaire en matière de responsabilité sociale et environnementale », selon les mots du communiqué commun aux deux syndicats. La CGT et la CFE-CGC proposent ainsi que Verallia se donne pour mission « de développer des contenants en verre et leurs processus de production d’une manière toujours plus bénéfique pour la planète, les consommateurs et les employés », et que l’entreprise se dote d’une gouvernance « plus équilibrée avec une forte représentation et responsabilisation des salariés ». |