Dans votre étude publiée en 2017 (*), vous notez des taux de syndicalisation très disparates entre les différents pays de l’OCDE, de 4,5 % en Estonie à 92 % en Islande. Comment l’expliquez-vous ?
Dans les pays du Nord, surtout dans le passé, pour avoir accès à l’assurance chômage, il fallait être syndiqué. En Suède, il y a eu aussi une incitation fiscale à l’adhésion syndicale. Alors que dans des pays comme la France où le taux de syndicalisation est faible, les salariés peuvent tirer les bénéfices de la négociation collective sans devoir en payer les coûts. Il n’est pas nécessaire de se syndiquer pour être protégé. Mais il faut noter qu’en France, ce faible taux d’adhésion va avec un niveau de confiance envers les syndicats un peu plus élevé par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE ; il n’y a pas de méfiance envers les syndicats, mais cela ne débouche pas pour autant sur des adhésions.
Peut-on faire un lien entre le taux de syndicalisation et le taux de couverture conventionnelle ? Vous constatez à cet effet une baisse de la couverture conventionnelle. Quelles en sont les raisons ?
Plus que du taux de syndicalisation, le taux de la couverture conventionnelle dépend du taux d’adhésion à des associations d’employeurs (comme en Espagne ou au Portugal par exemple). En Allemagne, la baisse de la couverture conventionnelle dérive de la faiblesse du taux d’adhésion des employeurs et de la possibilité d’être membre d’une association d’employeurs sans être couvert par un accord collectif.
L’existence d’accords de branche est également déterminante. Un seul accord peut couvrir des milliers de salariés alors qu’un accord d’entreprise ne couvre par définition que les salariés de l’entreprise. Le taux de la couverture conventionnelle chute lorsque la décentralisation de la négociation collective est totale, comme en Grande-Bretagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande ; dans ces pays il faut des syndicats assez forts pour pousser les entreprises à signer des accords.
Enfin, la procédure d’extension applicable dans le pays entre en ligne de compte selon qu’elle est plus ou moins généreuse.
Que pensez-vous de la réforme de l’extension, réalisée dans le cadre des ordonnances du 22 septembre 2017, qui donne plus de pouvoirs au ministre du travail pour la refuser ?
La France restait le seul pays où l’acte d’extension était automatique ou quasi-automatique. Seul étaient vérifié le respect de la loi, quelle que soit la représentativité des signataires et des effets potentiels. L’extension peut par ailleurs nuire à la concurrence, voire même aux clients et aux salariés, lorsque des accords sont signés pour éviter que des nouveaux entrants n’arrivent sur le marché. L’extension automatique n’est pas la meilleure manière de faire. Certains pays exigent que les signataires patronaux représentent un certain pourcentage d’employeurs.
Les ordonnances qui prévoient une extension au cas par cas me semble être une expérimentation positive, même si son application n’est pas évidente dans la pratique. L’idée d’étendre les accords qui prévoient des mesures pour les TPE-PME est aussi intéressante. Les accords de branche sont souvent conclus pour les grandes entreprises au détriment des TPE-PME. Avoir des accords différenciés pour les TPE-PME permet de discuter des critères qui s’appliquent aux entreprises selon leur taille.
La France s’est engagée ces dernières années dans un mouvement de décentralisation de la négociation collective. S’inscrit-elle dans une tendance majoritaire ?
La décentralisation de la négociation collective s’observe en Europe depuis les années 90, mais dans ces années-là l’approche était plus radicale ; il n’y avait presque plus de négociation sectorielle. Le mouvement actuel, qui a émergé pendant la crise (notamment en Espagne, au Portugal et en France), est un peu moins radical. Il s’agit d’une décentralisation « organisée » ; on laisse plus d’espace à la négociation d’entreprise sans vider la négociation de branche. D’ailleurs, dans certains pays anglo-saxons on se pose de nouveau la question de la réintroduction de la négociation sectorielle.
Que peut-on attendre d’une telle réforme en France sur le développement de la culture de la négociation collective ?
En France, nous avons assisté à une inflexion des règles du jeu des institutions existantes. Le système français se compose de peu d’adhérents à des syndicats et d’une couverture conventionnelle complète qui fait que le débat se fait beaucoup au niveau national, sur des questions politiques. On le constate, les syndicats signent des accords dans les entreprises qu’ils n’auraient pas signé au niveau national. Il faut promouvoir plus de dialogue là où le travail se fait ; c’est cela qui peut conduire à une culture plus positive du dialogue social. Il faut discuter des problèmes réels ; tout le monde est capable de signer des accords gagnant-gagnant.
Source – Actuel CE