Cette année, les entreprises vont bénéficier doublement du CICE, ainsi que d’une baisse de l’impôt sur les sociétés, de sorte que « les allègements de charges devraient avoisiner pas moins de 7% de la masse salariale du privé en 2019 ! », annoncent Frédéric Jeanjean et Arnaud Fournier, consultants au sein du cabinet Sextant expertise. Une donnée qui doit inviter les délégués syndicaux à chiffrer ces marges de manœuvre supplémentaires avant d’entrer en négociation annuelle sur les salaires.

Ce jeudi 24 janvier, le cabinet Sextant expertise organisait à Paris sa conférence annuelle d’aide à la négociation annuelle sur les salaires (NAO). Lors de cette matinée de formation, les consultants Frédéric Jeanjean et Arnaud Fournier ont aidé la cinquantaine de délégués syndicaux et élus présents à y voir plus clair sur les marges de manœuvre dont vont bénéficier les entreprises en 2019.

NAO : un vaste champ pour construire ses revendications

La négociation sur les salaires reste l’une des négociations récurrentes et obligatoires en entreprise, avec la négociation sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail (QVT), et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). « Vous pouvez maintenant espacer la NAO, dans la limite d’au moins une fois tous les quatre ans, rappelle Frédéric Jeanjean. Mais c’est politiquement très risqué de ne pas faire l’effort de négocier les salaires chaque année, en particulier s’il y a une forte inflation », prévient le consultant du cabinet d’expertise-comptable.

Sur le fond, toutes les questions de rémunération peuvent être abordées : salaire de base, part variable, primes exceptionnelles, primes d’activité (de panier, d’astreinte, etc.), épargne salariale (intéressement, participation, plan d’épargne retraite collective) et les périphériques de la rémunération (remboursement transports, tickets restaurant). « Le champ pour construire ses revendications est très vaste, résume Frédéric Jeanjean. Si vous sentez que la direction ne veut pas négocier sur l’un des éléments de la rémunération, il est donc toujours possible de rentrer par une autre porte ».

Identifier les tendances salariales et les véritables gains de pouvoir d’achat

Au niveau national, le salaire de base a augmenté en 2018 et devrait continuer de progresser cette année. « Mais l’inflation poursuit également sa hausse et le poids des dépenses contraintes reste important, notamment pour les bas salaires, tempère immédiatement Arnaud Fournier. C’est un élément à garder en tête : décrocher une enveloppe de 2,5% d’augmentation alors que l’inflation est de 2% correspond à un gain de pouvoir d’achat de seulement à 0,5% ».

Les revendications salariales peuvent alors s’appuyer sur les prévisions publiées par les cabinets de rémunération : « En 2019, tous les cabinets de rémunération (Altéa, Deloitte, Towers, Robert Half, etc.) partent sur une fourchette entre +2% à +2,5%, c’est davantage qu’en 2017 et 2018, assure le consultant. Ce sont des prévisions que votre entreprise va utiliser, nous le constatons tous les jours lors de nos interventions auprès de nos clients. Surtout que les employeurs clients des cabinets de rémunération ont accès aux prévisions par secteur d’activité. Mais encore faut-il savoir quel système est appliqué dans votre entreprise. C’est une question à poser ». « Peut-on aussi demander le coût de la prestation de tels cabinets auprès de l’entreprise ?, réagit un secrétaire de CE. Parce que c’est autant d’argent que l’on pourrait plutôt intégrer à l’enveloppe des augmentations ! » « Vous pouvez le demander, mais c’est rare d’obtenir ce chiffre. Nous pouvons, dans le cadre d’une expertise, éventuellement y accéder », répond Arnaud Fournier.

« Les revendications syndicales ne représentent parfois qu’une fraction des dividendes versés ! »

Au-delà de ces éléments macro-économiques, il faut aussi savoir comment sont partagés les profits et gains de productivité dans l’entreprise. « Classiquement il faut regarder le niveau d’investissement et le taux de marge, reprend Frédéric Jeanjean. Et il faut identifier les bons taux de marge, ceux qui reflètent la véritable performance de votre entreprise. Je pense en particulier aux prix de transfert qui peuvent, au sein des groupes internationaux, priver les filiales françaises de bénéfices ». Sans oublier de mesurer la rémunération des actionnaires : « Les directions s’offusquent parfois des montants demandés par les syndicats alors que cela peut ne représenter que quelques pourcents des dividendes versés ! », relate-t-il.

De 1998 à 2014, le salaire des dirigeants a augmenté de 64%, contre 34% pour les salariés 

 

L’évolution des rémunérations des différentes populations de l’entreprise, en particulier celle des dix plus hauts salaires, peut également révéler des disparités dans la redistribution des richesses : « Entre 1998 et 2014, le salaire moyen des dirigeants a augmenté de 64%, contre 34% pour le salaire moyen de l’ensemble des salariés, souligne Arnaud Fournier. C’est un indicateur objectif, qui peut être redoutable au plan de la communication si votre entreprise suit la même évolution ».

Allègements de charges : « Les entreprises vont économiser près de 7% de leur masse salariale en 2019 »

Il vous faut enfin identifier les éléments extérieurs qui apportent des marges de manœuvre supplémentaires. Ils sont nombreux et conséquents en 2019 ! « Il y a d’abord le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), qui disparaît en janvier 2019 mais que les entreprises continuent de toucher cette année au titre de 2018, explique Frédéric Jeanjean. C’est 20 milliards d’euros. Ce chiffre est même doublé en 2019 car les entreprises vont bénéficier de 20 milliards supplémentaires sous forme d’allègements de charges et contributions sociales ». L’impôt sur les sociétés baisse également à 31% en 2019 (en vue d’atteindre seulement 25% en 2022), soit 7 milliards d’euros d’économies supplémentaires pour les entreprises en 2019. « Au total, les allègements de charges devraient avoisiner pas moins de 7% de la masse salariale du privé en 2019 ! Faites véritablement le calcul des économies réalisées cette année par votre entreprise », insiste le consultant du cabinet Sextant.

Les directions peuvent aussi profiter du plan d’urgence économique et social pour verser une prime défiscalisée et exonérée de charges sociales jusqu’à 1 000 euros pour les salaires inférieurs à 3 fois le Smic annuel (soit 3 600 euros nets par mois). « Attention, il s’agit par nature d’un montant non récurrent », mettent en garde les consultants. Et, demande un élu, si l’employeur veut intégrer cette prime à l’enveloppe prévue pour la négociation sur les salaires ? « La loi l’interdit, mais dans la réalité tout le monde sait que les employeurs vont faire le calcul », anticipe le cabinet Sextant expertise.

Source – Actuel CE